Après réflexion, j'ai décidé de raconter cette histoire à la première personne et au présent. je jonglerai ainsi entre les points de vue de mes trois protagonistes.
Voici donc, la nouvelle version du prologue :
Voici donc, la nouvelle version du prologue :
Docile, soumis, j’attends. Ça ne m’empêche pas de
frissonner au contact du tentacule qui cherche son chemin le long de ma nuque,
remonte vers ma tempe pour se connecter à mon biocom. Ne pas lutter, se
détendre, fermer les yeux, respirer. Ne surtout ne pas oublier de respirer. La
chute est immédiate, sans fin, je sombre, emporté dans mes propres cauchemars. Le
Katamengo poursuit sa triste course dans le silence de l’hyperespace. Son
capitaine, le Racha Kan, peut se délecter de mes terreurs, s’amuser de mes
fantasmes. Je ne suis que son esclave, sa chose, un jouet dont, il se lassera,
comme mes précédents maîtres avant lui.
Quand je reprends conscience sur le solmat de sa cabine,
il est parti. J’en remercie les étoiles et secoue la tête mollement pour
évacuer les lambeaux de rêves qui tardent trop à s’étioler. S’en suit
l’inévitable vague de nausée. Je me relève avec précaution en m’accrochant au
rebord de sa cuve de repos. L’envie de vider mon estomac contrarié dans l’eau
claire me traverse l’esprit, mais je me retiens : mon octopoïde de maître ne
goûterait sans doute pas la plaisanterie, et je ne tiens pas à finir dans la
cale avec le reste de la cargaison.
Au-delà de ce lit aquatique, le placard aménagé pour mon
usage prend des airs de refuge. Juste un réduit, avec à peine la place de
s’allonger, un vide-ordures en guise de puits d’aisance et, luxe suprême, un
point d’eau pour boire et se rafraîchir. Pour ce qui est de la porte, seul le
capitaine peut l’activer. Impossible de m’isoler, ni même de m’en offrir
l’illusion.
Après m’être passé un peu d’eau sur la figure, je me
calle contre la cloison du fond pour retrouver ma balance. Pas question de me
plaindre : ceux qui s’entassent dans les soutes tueraient pour être à ma
place. Leur seul crime : être comestible. Moi aussi, je le suis, mais je
rêve. Ou plutôt, cauchemarde. Les Rachas sont très friands d’émotions fortes.
Depuis que ces octopoïdes pustuleux ont découvert comment se connecter aux
Humains pour voler leurs rêves, la cote de mon espèce s’envole sur les
plateformes de vente à travers la galaxie. Cette responsabilité n’incombe pas
aux seuls Rachats, ils forment une clientèle par trop parcimonieuse. Leur
soudain intérêt pour un peuple peu apprécié, excepté pour ses qualités
gustatives, a cependant éveillé la curiosité. Plus futés et toujours
pragmatiques, les Chalecks n’ont pas été longs à mettre au point l’interface
idoine permettant d’ouvrir le marché à d’autres utilisateurs. C’est ainsi que
les Humains, de viande dépréciée, sont devenus des pourvoyeurs de rêves.
À choisir, ce statut me convient tout à fait. Bien sûr,
celui d’homme libre me siérait plus. Les Humains, répondant à ce critère, ne
manquent pas. Depuis qu’ils ont dû se résigner à quitter la Terre, feu notre
planète d’origine, ils se sont disséminés un peu partout. Les uns créant des
colonies sur des mondes vierges, d’autres s’incrustant là où ils pouvaient quelquefois
par la force et souvent aux dépens des autochtones. Ils ont eu tôt fait de se
forger une solide réputation de sagouins interstellaires.
Aux hasards, de mes nombreux changements de propriétaire,
j’en ai rencontré de ces hypocrites qui faisaient mine de ne pas savoir et
regardaient ailleurs, toujours du côté de leurs intérêts. Je suis moi-même trop
opportuniste pour leur en vouloir. Né esclave, survivre est devenu, une seconde
nature, un art dans lequel j’excelle.
Je sursaute quand la porte d’entrée s’ouvre dans un souffle
discret, ce n’est pas mon maître qui revient. Je relève le nez : trois
Karlag aux écailles luisantes, collerettes hérissées font irruption dans la
cabine. Des matelots. Eux aussi esclaves. À part le capitaine Kan et peut-être
quelques rares officiers, il n’y pas beaucoup d’êtres libres à bords de ce
rafiot. Chacun d’eux doit peser deux fois mon poids. Leurs tronches écrasées de
gators laissent entrevoir des crocs verdâtres. Ça sent pas bon ! Qu’est-ce
qu’ils fichent là !
— Vous ne vous seriez pas tromper de porte pas
hasard ? Vous êtes dans les quartiers du capitaine, ici. Fichez le camp et
je garderais le silence !
Le plus gros esquisse un rictus peu engageant :
— Le vieux poulpe est mort. On le fait rôtir, tu en
veux une part ?
Satisfait de sa boutade, le reptilien en salive. Ses
compagnons de mutinerie commencent à saccager tout ce qui a le malheur de
passer à porter de leurs larges patasses griffues. Juste pour le plaisir de
détruire. Une joyeuse bande de débiles ! Une sueur froide s’insinue entre
mes omoplates, je dégluti avec peine. Mes maigres privilèges menacent de se
retourner contre moi et une multitude de questions se bousculent dans ma tête :
— Et les officiers, qu’en pensent-ils ?
— Des crickets et cette saleté de Féla ? On les
a fermés dans la chambre froide, pour plus tard. La route risque d’être longue.
— Qui pilote, alors ?
— Ben, le système central !
Suis-je donc bête ! Devant une telle démonstration
de stupidité, j’en lève les yeux au plafond qui ne m’en tient pas rigueur. Sûr
que l’intégrité des systèmes de navigation et protocoles d’approches d’un
transport d’esclaves qui voyage sans identifiants ne doivent en aucun cas être
mis en doute. Avec de pareils rigolos, nous sommes tirés d’affaire. Sans
compter, que notre défunt capitaine, n’avait probablement pas pensé à
verrouiller l’accès à ladite unité centrale. Les mutineries se faisaient
tellement rares ! Zen, disait ma mère. Dans un long souffle discret,
j’évacue mon stress, avant de poser l’ultime question :
— Et votre chef, c’est qui ?
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