mardi 31 juillet 2012

Nouveau prologue

Après réflexion, j'ai décidé de raconter cette histoire à la première personne et au présent. je jonglerai ainsi entre les points de vue de mes trois protagonistes.

Voici donc, la nouvelle version du prologue :

 
Docile, soumis, j’attends. Ça ne m’empêche pas de frissonner au contact du tentacule qui cherche son chemin le long de ma nuque, remonte vers ma tempe pour se connecter à mon biocom. Ne pas lutter, se détendre, fermer les yeux, respirer. Ne surtout ne pas oublier de respirer. La chute est immédiate, sans fin, je sombre, emporté dans mes propres cauchemars. Le Katamengo poursuit sa triste course dans le silence de l’hyperespace. Son capitaine, le Racha Kan, peut se délecter de mes terreurs, s’amuser de mes fantasmes. Je ne suis que son esclave, sa chose, un jouet dont, il se lassera, comme mes précédents maîtres avant lui. 

Quand je reprends conscience sur le solmat de sa cabine, il est parti. J’en remercie les étoiles et secoue la tête mollement pour évacuer les lambeaux de rêves qui tardent trop à s’étioler. S’en suit l’inévitable vague de nausée. Je me relève avec précaution en m’accrochant au rebord de sa cuve de repos. L’envie de vider mon estomac contrarié dans l’eau claire me traverse l’esprit, mais je me retiens : mon octopoïde de maître ne goûterait sans doute pas la plaisanterie, et je ne tiens pas à finir dans la cale avec le reste de la cargaison. 

Au-delà de ce lit aquatique, le placard aménagé pour mon usage prend des airs de refuge. Juste un réduit, avec à peine la place de s’allonger, un vide-ordures en guise de puits d’aisance et, luxe suprême, un point d’eau pour boire et se rafraîchir. Pour ce qui est de la porte, seul le capitaine peut l’activer. Impossible de m’isoler, ni même de m’en offrir l’illusion. 

Après m’être passé un peu d’eau sur la figure, je me calle contre la cloison du fond pour retrouver ma balance. Pas question de me plaindre : ceux qui s’entassent dans les soutes tueraient pour être à ma place. Leur seul crime : être comestible. Moi aussi, je le suis, mais je rêve. Ou plutôt, cauchemarde. Les Rachas sont très friands d’émotions fortes. Depuis que ces octopoïdes pustuleux ont découvert comment se connecter aux Humains pour voler leurs rêves, la cote de mon espèce s’envole sur les plateformes de vente à travers la galaxie. Cette responsabilité n’incombe pas aux seuls Rachats, ils forment une clientèle par trop parcimonieuse. Leur soudain intérêt pour un peuple peu apprécié, excepté pour ses qualités gustatives, a cependant éveillé la curiosité. Plus futés et toujours pragmatiques, les Chalecks n’ont pas été longs à mettre au point l’interface idoine permettant d’ouvrir le marché à d’autres utilisateurs. C’est ainsi que les Humains, de viande dépréciée, sont devenus des pourvoyeurs de rêves. 

À choisir, ce statut me convient tout à fait. Bien sûr, celui d’homme libre me siérait plus. Les Humains, répondant à ce critère, ne manquent pas. Depuis qu’ils ont dû se résigner à quitter la Terre, feu notre planète d’origine, ils se sont disséminés un peu partout. Les uns créant des colonies sur des mondes vierges, d’autres s’incrustant là où ils pouvaient quelquefois par la force et souvent aux dépens des autochtones. Ils ont eu tôt fait de se forger une solide réputation de sagouins interstellaires. 

Aux hasards, de mes nombreux changements de propriétaire, j’en ai rencontré de ces hypocrites qui faisaient mine de ne pas savoir et regardaient ailleurs, toujours du côté de leurs intérêts. Je suis moi-même trop opportuniste pour leur en vouloir. Né esclave, survivre est devenu, une seconde nature, un art dans lequel j’excelle. 

Je sursaute quand la porte d’entrée s’ouvre dans un souffle discret, ce n’est pas mon maître qui revient. Je relève le nez : trois Karlag aux écailles luisantes, collerettes hérissées font irruption dans la cabine. Des matelots. Eux aussi esclaves. À part le capitaine Kan et peut-être quelques rares officiers, il n’y pas beaucoup d’êtres libres à bords de ce rafiot. Chacun d’eux doit peser deux fois mon poids. Leurs tronches écrasées de gators laissent entrevoir des crocs verdâtres. Ça sent pas bon ! Qu’est-ce qu’ils fichent là !

— Vous ne vous seriez pas tromper de porte pas hasard ? Vous êtes dans les quartiers du capitaine, ici. Fichez le camp et je garderais le silence !

Le plus gros esquisse un rictus peu engageant :

— Le vieux poulpe est mort. On le fait rôtir, tu en veux une part ?

Satisfait de sa boutade, le reptilien en salive. Ses compagnons de mutinerie commencent à saccager tout ce qui a le malheur de passer à porter de leurs larges patasses griffues. Juste pour le plaisir de détruire. Une joyeuse bande de débiles ! Une sueur froide s’insinue entre mes omoplates, je dégluti avec peine. Mes maigres privilèges menacent de se retourner contre moi et une multitude de questions se bousculent dans ma tête : 

— Et les officiers, qu’en pensent-ils ?

— Des crickets et cette saleté de Féla ? On les a fermés dans la chambre froide, pour plus tard. La route risque d’être longue.

— Qui pilote, alors ?

— Ben, le système central ! 

Suis-je donc bête ! Devant une telle démonstration de stupidité, j’en lève les yeux au plafond qui ne m’en tient pas rigueur. Sûr que l’intégrité des systèmes de navigation et protocoles d’approches d’un transport d’esclaves qui voyage sans identifiants ne doivent en aucun cas être mis en doute. Avec de pareils rigolos, nous sommes tirés d’affaire. Sans compter, que notre défunt capitaine, n’avait probablement pas pensé à verrouiller l’accès à ladite unité centrale. Les mutineries se faisaient tellement rares ! Zen, disait ma mère. Dans un long souffle discret, j’évacue mon stress, avant de poser l’ultime question :

— Et votre chef, c’est qui ?